Le jeu de l'Oie octal

Références, informations

Le jeu de l'Oie est tellement connu qu'il ne devrait pas avoir sa place sur un site dédié aux jeux oubliés. Cependant son origine est imparfaitement connue : parfois une origine italienne du XVIe siècle lui est donnée, parfois c'est une autre allemande du XVe siècle, mais presque tous s'accordent à réfuter son origine grecque malgré son appellation complète « Le noble jeu de l'Oie renouvelé des Grecs ». Déjà dans son ouvrage Bibliothèque curieuse et instructive... paru en 1704, le père Claude-François Menestrier exprime son doute en écrivant « [...] c'est le jeu de l'Oye si commun et que l'on prétend être venu des Grecs, quoiqu'il n'en paraisse aucun vestige dans les auteurs. »

Mon propos n'est pas spécialement de revenir sur ces origines données au jeu de l'Oie – nombre d'autres sites le font plus ou moins bien –, mais de faire connaître l'idée originale d'un auteur du XIXe siècle qui voyait dans ce jeu une application de la numération octale : en 1857, Aimé Mariage dans son livre intitulé Numération par huit anciennement en usage par toute la Terre tente de prouver que la numération octale est non seulement la plus ancienne mais qu'elle devrait, selon lui, supplanter celle décimale plus complexe au niveau des calculs. Il va même jusqu'à adresser un courrier au pape Grégoire XVI, daté du 13 mars 1842, pour lui « soumettre un nouveau système de calcul, par 8, offrant les avantages du calcul décimal sans ses inconvénients. »

Aimé Mariage consacre 6 des 243 pages de son livre a une étude du jeu de l'Oie pour en conclure que ce jeu « est un monument vivant de l'ancienne numération octovale [sic] ».

Pour ma part, sans apporter caution à cette affirmation, je trouve cette façon de voir le jeu de l'Oie intéressante pour enseigner de manière ludique et sans effort le système octal comparativement au système décimal, le matériel se prêtant tout particulièrement à cela.





        

 

Les observations d'Aimé Mariage sur le jeu de l'Oie

 

« La première observation que l'on peut faire sur le jeu de l'Oie concerne la numérotation des cases, qui va de 1 à 63. Certains voient 64 cases en comptant la case de départ qui serait alors la case n°0, d'autres pensent que la case supplémentaire est celle du centre appelée dans le jeu « le jardin de l'oie ». Implicitement, en voulant absolument voir 64 cases au lieu de 63, tous se rattachent à quelque chose d'autre que le système décimal duquel on attendrait plutôt un nombre de cases égal à plusieurs dizaines voire une centaine.

Le système de numération qui s'accorde le mieux au nombre 64 est le système octal qui fait appel à 8 chiffres – de 0 à 7 – au lieu de 10 pour le système décimal.

On observe d'autre part que la case d'arrivée appelée « porte du jardin de l'oie » est numérotée 63, et qu'une première série d'oies est placée de 9 cases en 9 cases en commençant par la neuvième, le tablier étant ainsi divisé en 7 sections de 9 cases.

Cependant 9 semble être un nombre quelconque en numération comparé à 10 – les dix doigts des deux mains –, ou 8 – huit doigts seulement, les pouces servant à compter les quatre autres doigts de chaque main, ou même 12 – les douze phalanges des quatre doigts hormis le pouce qui sert à les compter.

Si maintenant on numérote les cases du jeu de l'Oie en octal, on obtient un parcours allant de 1 à 100 (64 exprimé en octal).

On peut alors placer la première série d'oies de 8 cases en 8 cases, ce qui permet de diviser le parcours en 8 segments de 8 cases. La dernière case du parcours est maintenant la case du jardin de l'oie et non sa porte. Par suite, les numéros des cases où se trouvent les oies de la première série se trouvent désormais être des multiples de 10 (8 exprimé en octal).

Comme on peut le voir, cette manière de procéder donne une bien meilleure harmonie au tablier du jeu de l'Oie. »

Aimé Mariage fait remarquer d'autre part que la règle du jeu de l'Oie stipule que si au premier coup on obtient un total de 9 points en lançant les deux dés, pour éviter de gagner immédiatement on est tenu pour 6-3 d'aller à la case 26, et pour 5-4 à la case 53. On aurait pu penser pouvoir être respectivement dirigé vers la case 36 et la case 45 ou 54 mais toutes ces cases étant marquées par une oie, cela n'était pas possible, d'où un décalage nécessaire.

C'est justement dans les numéros des deux cases choisies, 26 et 53, qu'Aimé Mariage croit voir un vestige d'un jeu de l'Oie ancien – il pense vraiment qu'il s'agit d'un jeu de la Grèce antique – fonctionnant selon la numération octale. Il remarque en effet que si l'on place les oies à partir de la huitième case, toutes les huit cases du parcours, deux coups de dés (2-6 et le 5-3) au début du parcours obligent à une redirection qui peut être sans problème vers les cases 26 (octal) et 53 (octal) qui correspondent chiffre pour chiffre au 26 et 53 du jeu de l'oie en numération décimale.

Aimé Mariage omet cependant de signaler qu'en octal le coup 4-4 doit aussi être redirigé, le positionnement des oies de 9 cases en 9 cases éliminant le problème du doublet.

Je ne commenterai pas outre mesure le raisonnement d'Aimé Mariage, si ce n'est pour dire que le jeu de l'Oie a pu être inspiré du Méhen, jeu de l'Egypte ancienne pratiqué sur une tablette gravée d'un nombre variable de cases représentant dans leur ensemble un serpent enroulé en spirale, mais dont les règles sont inconnues. Nombreux sont aujourd'hui ceux qui veulent donner des règles au Méhen et qui comme Aimé Mariage les présentent comme LES règles du Méhen alors que ce ne sont que les leurs.

Le jeu de l'Oie était très probablement un jeu dit préparé, commercial jusqu'à son appellation attractive pour l'époque de « renouvelée des Grecs ».

Quoiqu'il en soit, je me suis amusé à donner une réalité au jeu de l'Oie revisité par Aimé Ménage.

 


Adaptation du jeu de l'Oie en octal
   

Dans tout ce qui suit les nombres sont exprimés en octal, et on pourra se référer à la représentation du tablier.

Le parcours va de 1 à 100, et une première série d'oies se trouve sur les cases 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70, et 100 qui est le jardin de l'oie, case d'arrivée.

Sur les cases 26, 53 et 44 j'ai représenté deux dés rouges qui indiquent où le joueur qui obtient respectivement 2-6, 5-3 et 4-4 au premier coup de dés doit se placer.

Le jeu de l'oie présente une deuxième série d'oies que j'ai volontairement choisi de faire commencer à la case 5, les oies de cette série se trouvant alors en 5, 15, 25, 35, 45, 55, 65 et 75.

La tentation était de faire commencer la série en 4 et non en 5, cependant cela créait des redirections supplémentaires assez nombreuses : faire 4 (3-1, 2-2) amenait immédiatement à la case 100, obligeant à deux nouvelles redirections (par exemple, 31 et 22) ; faire 14 (6-6) ramenait d'oie en oie directement au départ ; de même faire 4-4 ramenait directement au départ suite à une redirection en 44. Le choix de faire commencer la série en 5 élimine toutes ces particularités.

Il restait à décider de l'emplacement des cases spéciales, ce qui a été fait en conservant globalement la même répartition que sur le tablier du jeu de l'Oie décimal :

– le pont reste en 6 et celui qui y arrive se déplace en 12. Ainsi la règle ne change pas sauf qu'ici 12 est exprimé en octal. On remarque la similitude avec le jeu de l'Oie décimal, l'oie placée en 10 se trouvant à mi-chemin de la case 6 et de la case 12.

– l'auberge est en 22 et celui qui s'y arrête doit passer ses deux prochains tours.

– le puits est en 36 et celui qui y tombe doit attendre qu'un autre joueur vienne le remplacer. Celui qui sort prend la place de départ de celui qui le remplace.

– le labyrinthe est en 52 et celui qui y rentre en sort immédiatement par le puits pour se placer juste avant en 35.

– la prison est en 62 et celui qui y rentre y reste prisonnier jusqu'à ce qu'un autre joueur prenne sa place. Celui qui sort prend la place de départ de celui qui le remplace.

– la mort est en 72 et celui qui s'y arrête revient au départ du parcours qu'il reprendra au prochain tour.

– le jardin de l'oie est en 100, celui qui y arrive sans excédent de points à gagné la partie. Par contre celui qui y parvient avec plus de points rétrograde d'autant de cases que son excédent de points. Si en rétrogradant il tombe sur une oie, il continue à rétrograder du nombre total des points des deux dés. Au prochain tour il repartira en avant.

Lorsqu'un joueur termine son déplacement sur une case occupée par un autre joueur, celui-ci prend la place de départ de celui-là.

 

Jouer avec des jetons
  

Le jeu de l'Oie était un jeu intéressé de la manière qui suit :

– au début de la partie, chaque joueur met un ou deux jetons dans une corbeille. Les jetons qui y sont déposés constituent la poule. La poule va grossir (engraisser) au cours du jeu.

– celui qui tombe sur une case spéciale met un jeton à la poule.

– celui qui est rejoint par un autre joueur met un jeton à la poule.

– celui qui gagne la partie emporte la poule.






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Références

La Maison des jeux académiques, Paris, Etienne Loyson, 1665

Aimé Mariage, Numération par huit anciennement en usage par toute la Terre, Paris, Le Normant, 1857

 

Informations sur la page

Page mise en ligne le 23 décembre 2010

Révisée et remise en ligne le 15 avril 2022

Auteur : Philippe LALANNE

Le Salon des jeux - Académie des jeux oubliés







 

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