Le vocabulaire du Trictrac dans la littérature française
 

La Partie de Trictrac

 

Prosper Mérimée, 1830

 

Références, informations

 

 

Extrait concernant le jeu de Trictrac :

 

 Bientôt Roger fut réduit à jouer ses derniers vingt-cinq napoléons. Il s'appliquait horriblement ; aussi la partie fut-elle longue et disputée. Il vint un moment où Roger, tenant le cornet, n'avait plus qu'une chance pour gagner : je crois qu'il lui fallait six et quatre. La nuit était avancée. Un officier qui les avait longtemps regardés jouer avait fini par s'endormir sur un fauteuil. Le Hollandais était fatigué et assoupi ; en outre, il avait bu beaucoup de punch. Roger seul était bien éveillé, et en proie au plus violent désespoir. Ce fut en frémissant qu'il jeta les dés. Il les jeta si rudement sur le damier que de la secousse, une bougie tomba sur le plancher. Le Hollandais tourna la tête d'abord vers la bougie, qui venait de couvrir de cire son pantalon neuf, puis il regarda les dés. – Ils marquaient six et quatre. Roger, pâle comme la mort, reçut les vingt-cinq napoléons. Ils continuèrent à jouer. La chance devint favorable à mon malheureux ami, qui pourtant faisait écoles sur écoles, et qui casait comme s'il avait voulu perdre. Le lieutenant hollandais s'entêta, doubla, décupla les enjeux : il perdit toujours. Je crois le voir encore ; c'était un grand blond, flegmatique, dont la figure semblait être de cire. Il se leva enfin, ayant perdu quarante mille francs, qu'il paya sans que sa physionomie décelât la moindre émotion.
Roger lui dit :

« Ce que nous avons fait ce soir ne signifie rien, vous dormiez à moitié ; je ne veux pas de votre argent. »

– « Vous plaisantez, » répondit le flegmatique Hollandais ; « j'ai très bien joué, mais les dés ont été contre moi. Je suis sûr de pouvoir toujours vous gagner en vous rendant quatre trous. Bonsoir ! » Et il le quitta.

 

 

Vocabulaire spécifique au Trictrac (surligné en vert dans l'extrait) :

 

Cornet : ustensile pour lancer les dés, à l'origine fait en corne puis en bois et plus souvent en cuir.

 

Six et quatre : on joue avec deux dés, ici l'un indique 6 et l'autre 4. La manière de nommer les dés est conforme aux règles du jeu : on nomme le dé le plus fort avant le dé le plus faible.

 

Jeta les dés : les dés étaient alors faits en os ou parfois en ivoire, et leurs angles étaient aiguës, de sorte que les dés roulaient mal dans le tablier de jeu. Pour cette raison, la règle exigeait que les dés soient jetés avec suffisamment de force pour qu'ils rebondissent contre le bord interne du tablier, côté adverse, ou bien sur le bord des dames, toujours côté adverse.

 

Damier : les pions du jeu de trictrac, au nombre de 15 pour chaque joueur, ont été tout d'abord appelés « tables », mais le terme de « dame » a progressivement pris le pas sur celui de « table » à partir du XVIIe siècle. De ces appellations, ont résultées celles de « tablier » et de « damier » pour définir le plateau de jeu. Cependant, il est à noter que le nom de « damier » était peu utilisé : on jouait avec des dames dans un tablier. Mais le nom de « damier » est correct.

 

Bougie : les bords latéraux, droit et gauche, du tablier étaient percés, en leur milieu, d'un trou dans lequel venait s'enficher un petit bougeoir comportant une pointe à sa base. Les deux bougeoirs permettaient ainsi de jouer lorsque la lumière ambiante était insuffisante. Ici, une bougie tombe du fait que les dés ont été lancés avec une force excessive, le cornet heurtant probablement la bordure proche de Roger.

 

Faisait écoles sur écoles : au trictrac chaque joueur marque des points en fonction de situations de jeu particulières. Si un joueur oublie de marquer des points, ou bien en marque trop, on dit qu'il fait « école ». Son adversaire est en droit de marquer cette école en prenant pour lui-même les points déficitaires ou excédentaires. On fait beaucoup d'écoles en apprenant le jeu, puis de moins en moins avec l'expérience. L'énervement et la fatigue sont des raisons de faire des écoles, ce qui peut occasionner la perte stupide d'une partie. L'endurance est une qualité du joueur de trictrac.

 

Casait : en fonction de la valeur affichée sur chaque dé, le joueur déplace ces dames sur les cases du tablier. Les cases, en forme de flèches, sont au nombre de 24. Déplacer ainsi ses dames s'appelle « caser ». Une autre définition de caser est aussi placer deux dames sur une même case pour la rendre invulnérable, mais dans ce cas on devrait plutôt dire « faire une case ».

 

Trou : chaque bordure, appelée bande, du côté des joueurs, comporte 12 trous dans lesquels on déplace un fichet. Lorsque un joueur marque 12 points il déplace sont fichet d'un trou (parfois deux). Le joueur qui atteint le premier le douzième trou a gagné la partie. Il est à noter que les fichets étaient faits de diverses matières telles que l'os, l'ivoire, le bois, mais comme les joueurs lançaient assez fortement les dés dans le tablier (voir ci-dessus : Bougie), ces fichets étaient susceptibles d'être cassés au contact du bord du cornet, et pire cette rencontre pouvait occasionner la casse du bord du tablier au niveau du fichet. Probablement pour éviter cet inconvénient, les fichets étaient parfois faits de fils de soie, montés en faisceau, et serrés en leur milieu par un petit tube métallique.

 

En vous rendant quatre trous : lorsqu'une partie se joue entre un joueur confirmé et un joueur novice, il est possible que le premier donne un avantage au second, en l'autorisant à prendre une avance de un ou plusieurs trous dès le début du jeu. On dit que le plus fort rend ce nombre de trous à son adversaire. Ici, le joueur, n'accepte pas sa défaite, et l'attribue à la malchance, prétendant être supérieur au point de rendre 4 trous à son adversaire.

 

 

 

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Références :

 

Le texte intégral de La Partie de trictrac de Prosper Mérimée sur Wikisource

 

Les règles complètes du jeu de trictrac : Le jeu de trictrac

 

Voir aussi le vocabulaire du Trictrac dans l'oeuvre de Regnard : Le Joueur

 

 

Informations sur la page :

 

Mise en ligne le 24 décembre 2004
Relecture et mise en forme le 24 décembre 2021

 

Auteur : Philippe LALANNE

 

Le Salon des jeux - Académie des jeux oubliés

 

 

 

 

 

 

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