Le Domino

Informations, références

Le Domino est un jeu utilisant des pièces rectangulaires longues marquées d'un côté du résultat d'un jet de deux dés tels que ceux utilisés par exemple au Trictrac. Les pièces sont ainsi appelées des dés.

Le but du jeu est de se défaire au plus tôt de ses dés avant l'autre ou les autres joueurs.

Pour cela les joueurs posent à leur tour un de leurs dés sur la table en joignant l'une de ses deux extrémités à l'une des deux extrémités de la chaîne des dés déjà posés par les joueurs et de telle manière que les deux extrémités (celle du dé posé et celle de la chaîne) présente le même nombre de points.

Le jeu du Domino est originaire de France. Il y a été joué pour la première fois durant le Carnaval de 1762. Son appellation est en relation avec cette période festive. Ce n'est que plus tard que les dés seront par métonymie appelés des dés, et ce faisant que l'on parle aujourd'hui du jeu des dominos.

D'abord joué avec 21 dés (représentant les 15 résultats apparents des coups simples, et les 6 doublets des jets de deux dés à six faces), il se pratiquera très vite avec 28 dés qui est toujours la configuration la plus populaire aujourd'hui. Les 7 dés supplémentaires sont issus de l'adjonction aux nombres de points de 1 à 6, d'un blanc ne présentant donc aucun point. Sur chaque nouveau dé marqué de 1 à 6 d'un côté, on trouve alors un blanc, et le double blanc constitue le septième dé.

Cependant, préalablement à l'ajout du blanc, la quantité de dés sera augmentée en ajoutant les points 7, puis 8, et 9. Après l'ajout du blanc, la configuration à 6 points avec le blanc restera la plus pratiquée.

Pour faire connaître quelle configuration on utilise (avec les blancs), on lui donne comme appellation celle du double le plus haut. Ainsi on jouera au double-six, au double-sept, au double-huit, ou au double-neuf. D'autres configurations plus élevées existent comme le double-douze...

Dans cet article nous allons parler de l'origine du jeu du Domino, de son développement à ses débuts, et de sa première règle à 21 dés.

  

  

1. Le Domino dans L'Avantcoureur

 

 

L'Avantcoureur est une revue hebdomadaire du XVIIIe siècle ayant paru tous les lundi, à partir du 21 janvier 1760. Chaque feuillet comporte 16 pages in-8°. Les sujets d'actualité traités concernent les lettres, les sciences, les arts et les spectacles.

Les n° 41 et 42 présentent ce qui pourrait bien être les premières informations précises sur le jeu du nain jaune. On pourra y constater que les règles actuelles sont bien plus simples que celles d'alors.

En 1762, le jeu du Domino y fait sa toute première apparition.


 

L'AVANTCOUREUR, lundi 1er mars 1762 (n° 9)

« Voici encore un jeu de société, qui, comme la Comète, le Nain jaune, et tant d'autres, durera autant qu'il plaira à la fantaisie des joueurs. Ce jeu s'appelle le jeu du Domino, nom emprunté du Carnaval, pendant lequel il a régné ; il est composé de 21 cartes marquées chacune d'un des points des deux dés du trictrac ;

[... règles du jeu]

Il demande peu d'application et a cependant une certaine finesse pour attaquer par des nombres sortis où les autres ne puissent pas rentrer facilement. On le joue aussi avec de petites lames d'ivoire qui font le même effet que les cartes et ne salissent pas. La boite complète garnie des 21 lames, se vend 4 livres 10 sols ; on en trouve rue des Arcis, au Singe vert, et chez les autres tabletiers de la même rue. »

Remarques sur ce texte :

1. La semaine précédant le 1er mars 1762 était celle du Mardi gras et donc celle de la fin de la période festive du Carnaval qui s'étendait de la fête des Rois (6 janvier) à la veille du mercredi des Cendres, début du Carême.

2. Le jeu est initialement appelé « Le Domino » et non « Les Dominos ». Inspiré d'une capuche qui s'étendait jusqu'aux épaules portée par les ecclésiastiques, le domino était alors un vêtement ample jusqu'au pieds et surmonté d'une capuche tout aussi ample masquant le visage. Ce domino était très à la mode pour masquer son identité dans les fêtes du Carnaval. Le domino est un emblème du Carnaval d'alors.

3. Durant le Carnaval de 1762 le Domino était pratiqué avec des cartes représentant les dés. Les tabletiers ont très vite fabriqué les dés à partir de petites lames d'ivoire. Le jeu du Domino semble avoir été lancé comme un produit commercial en utilisant la période du Carnaval propice aux jeux et en lui en attribuant le nom emblématique du vêtement. Le nom du jeu n'a pas de relation avec les dés eux-mêmes. Les dés noirs et blancs qui font penser au vêtement des dominicains ont été fabriqués plus tard et ne sont pas à l'origine de l'appellation du jeu.

4. L'autre jeu de société dont veut parler L'Avantcoureur n'est autre que le Nain jaune révélé aussi par le même journal en 1760.

 

 


2. Le Domino dans Le Mercure de France

 

 

Le Mercure de France, dédié au Roi par une société de gens de lettres, est une revue appartenant alors à Jacques Lacombe auteur notamment du Dictionnaire des Jeux ajouté à l'Encyclopédie méthodique Panckoucke.


 

LE MERCURE DE FRANCE, août 1770

Réponse à la question sur l'origine du Jeu de Dames à la Polonaise, insérée dans le Mercure de France (Juillet, 1er volume)

« Il est réellement fâcheux de ne pouvoir tirer de l'obscurité un fait qui s'est passé sous nos yeux, il y a moins de quarante ans. Je pourrais cependant citer un fait semblable et qui est beaucoup plus récent.

Depuis cinq ou six ans on joue dans presque tous les cafés de Paris un jeu qu'on appelle le Domino. Sans approfondir si ce jeu, quoique assez insipide, est ancien ou moderne ; si l'on voulait connaître particulièrement son origine et le nom de son inventeur, on rencontrerait vraisemblablement les mêmes difficultés que celles qui se présentent à l'occasion du jeu de Dames à la Polonaise. »

Par M. Manoury, Md Limonadier, au coin du Quai de l'École.

Remarques sur ce texte :

1. L'auteur de ce texte est Manoury qui est un expert renommé du jeu de dames à 100 cases. Il était alors marchand limonadier (vente de café, chocolat, glaces, et diverses boissons).

2. Manoury s'aprêtait alors à publier la même année son Essai sur le jeu de dames à la polonoise premier livre écrit sur ce jeu. Cependant son traité ne contient pas l'historique du jeu. Alors Manoury profite de la question pour tenter d'y répondre.

3. Dans sa réponse Manoury présume que le jeu de dames à la polonaise date de vers 1727 mais sans grande conviction. D'où la comparaison qu'il fait avec le Domino qui ne connaît pas non plus d'auteur et les deux malgré leurs récentes apparitions à Paris.

4. Manoury nous fait savoir que le jeu du Domino est très pratiqué dans les cafés de Paris et ce depuis cinq ou six ans. Ce qui nous ramène à 1764. Ce qui est cohérent avec l'article de l'Avantcoureur situant avec précision l'apparition du jeu du Domino au Carnaval de 1762.

5. L'utilisation du singulier est à noter pour l'appellation du jeu. Domino est d'abord le nom du jeu et ce n'est que plus tard que les dés seront nommés des dominos par métonymie, l'origine carnavalesque du jeu semblant alors être perdue.

 

 


3. Le Domino dans Le Dictionnaire de Trévoux

   Dictionnaire universel Français et Latin

édition de 1771

« DOMINO : On appelle encore domino un jeu qui se joue avec une espèce de dés, marqués d'un côté d'un certain nombre de points, depuis 1, jusqu'à 9. Ce jeu est assez connu. »  

Remarques sur ce texte :

1. Cette définition de Domino est nouvelle. C'est sa première occurence dans un dictionnaire, soit neuf ans après la création du jeu du Domino révélée par L'Avantcoureur de 1762.

2. On peut observer que les dés utilisés peuvent inclure les 7, les 8, et même les 9 et donc ne pas se limiter aux 6 comme en 1762. Cependant les blancs ne sont pas encore signalés.

 

 


4. Le premier livre de règles du Domino

Règles et Principes sur le jeu de Domino
Chez Fournier, 1780

  

« AVIS. L'usage que le Public a de jouer au Jeu de Domino dans les Cafés de Paris et dans d'autres endroits, doit me garantir qu'on ne désapprouvera pas le désir que j'ai formé de le satisfaire, en lui donnant des Principes et des Règles sur ce Jeu, le connaissant assez particulièrement ; et après avoir pris différents avis sur le jugement de certains coups qui arrivent dans les parties, je me suis décidé à les mettre par écrit afin de lever toutes les difficultés qui peuvent survenir en ce jeu, qui est le seul qu'on puisse jouer publiquement. Je cherche donc à conserver la tranquillité dans les endroits où un nombre de gens honnêtes se rendent, et où ils s'amusent à peu de frais en jouant ce jeu. Si je ne parviens pas au but que je me propose, que le Public veuille bien avoir pour moi de l'indulgence, eu égard au désir que j'ai de le servir. » 

[Début des règles]

« Ce jeu formé de dés longs, plats et carrés, peut être fait de différentes matières ; il est ordinairement d'os ou d'ivoire, mais il est plus propre lorsqu'il est moitié os ou ivoire, et l'autre moitié de bois noirci, c'est-à-dire, la moitié où les points sont marqués est dessous, et le bois noirci dont elle est couverte fait l'autre moitié ; c'est cette qualité qui règne aujourd'hui, et il paraît que le choix en est déterminé ; à tous égards cela doit être, car la propreté dont ce jeu est, procurent de l'habileté à jouer. Ce jeu peut avoir un nombre de dés considérable, mais il est fixé à vingt-huit, et cette quantité suffit pour le rendre compliqué et intéressant dans les différentes manières de le jouer.

Dans ces vingt-huit dés il se trouve sept espèces de dés qui commencent par le double blanc et finirent par le double six : ces dés forment ensemble un nombre de cent soixante-huit points. »

Remarques sur ce texte et des règles proposées :

1. Dans son avis l'auteur informe le lecteur de sa démarche qui peut être comprise comme le souhait d'établir en quelque sorte une standardisation des règles du Domino. Il précise qu'il s'agit d'un des jeux admis en public avec peu d'enjeu.

2. Dans les règles, les pièces sont toujours appelées des dés. Les dés sont généralement en ivoire ou en os, mais ceux montés sur un support en bois noirci y sont décrits comme étant les plus propres au jeu du fait notamment de leur ergonomie.

3. Comme l'avait mentionné le Mercure de France en 1770 les dés peuvent être bien plus nombreux que vingt-et-un (en incluant le 7, le 8, et jusqu'au 9).

4. Dans ces règles de 1780, on voit apparaître le blanc associé au jeu de base lui apportant six dés supplémentaires pour l'amener à vingt-huit dés sans avoir à utiliser le 7. Il faut probablement y voir une manière plus confortable de jouer, le 7 n'étant pas un point apporté par des dés à six faces.

5. Les règles présentées sont celles toujours pratiquées aujourd'hui mais la possibilité de pouvoir pêcher n'existe pas. On boude systématiquement.

6. Il est remarquable que la partie à quatre joueurs formant deux équipes croisées (comme au Whist par exemple) est décrite sous l'appelation Piquet voleur. Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour voir son appellation remplacée par celle de Domino voleur. Ce renommage est dû au fait qu'à la même époque les joueurs de Piquet se sont emparés de cette configuration sous l'appellation de Piquet voleur. Il ne pouvait pas y avoir deux jeux différents sous la même appellation !

 

 


5. Règles originales du jeu du DOMINO (1762)

Le Domino est apparu à Paris durant la Carnaval de 1762. La règle du jeu suivante était jointe à l'article du 1er mars révélant le jeu.

1. Nombre de joueurs : 4 ou 5

2. Nombre de dés : 21, du double un au double six ; les blancs n'existaient pas.

3. Début d'une partie : les dés sont renversés faces cachées sur la table et un joueur les mélange. [Ceci fait une première fois, tous les joueurs tirent un dé et celui qui a le plus fort total des points affichés sera le premier à jouer. Puis tous les dés sont replacés sur la table et sont à nouveau mélangé]

4. Répartition des dés : chaque joueur tire vers lui, à 4 joueurs cinq dés, et à 5 joueurs quatre dés. Ainsi, vingt dés ont été tirés et il en reste un seul au milieu de la table.

5. Le joueur désigné par le sort pour être le premier à jouer retourne ce dernier dé face visible. Puis il place un de ses dés comme il se doit au Domino

6. Le joueur suivant, assis à sa droite, en fait de même, et l'on continue de la sorte dans le sens anti-horaire.

7. Lorsqu'un joueur ne peut poser aucun dé, il passe son tour.

8. Le premier à poser son dernier dé gagne le coup et reçoit de chacun des autres joueurs un nombre de jetons égal à celui des dés qui lui restent en main.

9. Dans le cas où aucun joueur ne peut poser un dé, tous passent, alors personne ne gagne et chacun verse dans un corbillon le nombre de jetons qu'il aurait donné au gagnant s'il y en avait eu un. L'ensemble de jetons contenu dans le corbillon est appelé la bête.

10. Les coups se succèdent en changeant de premier par la droite. Un tour est fini lorsque tous les joueurs ont été premiers. Une partie se joue en douze tours à quatre joueurs, et dix tours à cinq joueurs. [Un nombre différent de tours peut être convenu par les joueurs en début de partie]

11. La bête n'est tirée que par celui qui pose son dernier dé lors d'un coup. Il reçoit en plus ses gains habituels de la part de chacun des autres joueurs.

12. Fin de partie : le dernier tour convenu joué et s'il n'y a pas de bête au jeu, la partie est terminée. [Si une bête est toujours en jeu, on continue à jouer jusqu'à ce qu'elle soit tirée.]

 

 

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Références

L'Avantcoureur, feuille hebdomadaire, du 1er mars 1762

Le Mercure de France, dédié au Roi par une société de gens de lettres, août 1770

Dictionnaire universel Français et Latin, dit de Trévoux, 1771

Règles et Principes sur le jeu de Domino, chez Fournier, 1780

 

Informations sur la page

Mise en ligne le 24 juin 2025
 

Auteur : Philippe LALANNE

Le Salon des jeux - Académie des jeux oubliés


 

 

 

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