L'Homme d'Auvergne

Références, informations


L'Homme d'Auvergne est un jeu de cartes très ancien proche de la Triomphe. Ses règles, peu claires, publiées au milieu du XVIIe siècle dans la Maison des jeux académiques, ont été interprétées diversement au cours du XVIIIe avec des erreurs qui, associées à un enrichissement simultané du jeu de la Bête par deux principes – la réjouissance et le roi de la couleur de la retourne – empruntés à l'Homme d'Auvergne, ont fait qu'à partir de 1725 (Académie universelle des jeux) la différence entre la Bête et l'Homme d'Auvergne est devenue minime. Les règles présentées ici sont une restauration commentée de celles d'origine qui permet de retrouver les spécificités d'un jeu qui bien que modeste a été source d'inspiration pour d'autres tels que l'Écarté pour l'importance du roi d'atout.

        

            

1. Nombre de joueurs et jeu de cartes

L'Homme d'Auvergne se joue de 4 à 5 joueurs avec un jeu de 32 cartes, et de 2 à 3 joueurs avec un jeu de 28 cartes obtenu en retirant les sept d'un jeu de 32 cartes.

L'ordre décroissant des cartes est le suivant dans chaque couleur – carreau, cœur, pique, et trèfle :

Roi, dame, valet, as, 10, 9, 8, 7

Commentaire :
Les règles de 1665 (Maison des jeux académiques) ne donnent pas directement le nombre de joueurs, mais font référence d'une manière générale à la Triomphe pour lequel il est écrit que « l'on peut y jouer tant et si peu de personnes qu'on voudra ». L'Académie universelle des jeux en 1718 et 1721 fixe le minimum à deux joueurs et le maximum à 4, puis à partir de celle de 1725, le maximum est porté à 6. Or dans ce dernier cas il se pose un problème de jouabilité, le nombre de cartes nécessaires étant égal à 5 par joueur et 4 autres pour les retournes éventuelles, ce qui fait un total de 34 cartes alors que le jeu spécifié n'est que de 32 cartes. Pour jouer à 6 joueurs, il aurait fallu prévoir un jeu de 36 cartes en ajoutant les six à un jeu de 32 cartes.

 

2. Donne

Chaque joueur prend une carte au hasard dans le jeu étalé sur la table, faces cachées. Le donneur est celui qui obtient la plus haute carte.

Le donneur ainsi désigné mélange les cartes, les donne à couper au joueur placé à sa gauche, et distribue 5 cartes à chacun, par trois et deux, ou deux et trois, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.

Le donneur ne retourne pas la carte suivante. C'est à la volonté de chacun des joueurs, en commençant par celui placé à la droite du donneur, de le faire ou non. Si aucun des joueurs ne tourne la carte du dessus du talon, le coup ne se joue pas et le joueur assis à la droite du donneur distribue à son tour les cartes qu'il aura rassemblées, mélangées et données à couper.

Dès qu'un joueur retourne la carte du dessus du talon, un tour de parole débutant par le joueur placé à droite du donneur commence pour désigner l'homme.
 

3. Désignation de l'homme, la réjouissance

Tour à tour, en commençant par celui assis à la droite du donneur, les joueurs annoncent s'ils acceptent l'atout proposé – la couleur de la retourne – en disant « je joue », ou bien s'ils le refusent en disant « je passe ». Le tour de parole est terminé dès qu'un joueur a annoncé « je joue », ou à défaut lorsque tous les joueurs ont passé. Le joueur qui a annoncé « je joue » est appelé l'homme.

Si tous les joueurs ont passé sur la retourne, ils peuvent « se réjouir ». Pour cela ils procèdent de la même manière avec la deuxième carte du talon appelée « réjouissance ». Si personne ne veut se réjouir – on dit aussi « aller en réjouissance » – on passe au coup suivant comme précédemment. La réjouissance étant retournée, soit un joueur se désigne pour être l'homme, soit tous les joueurs passent. Dans ce dernier cas, les joueurs peuvent se réjouir une nouvelle fois de la même manière. Il n'est cependant pas possible de se réjouir plus de trois fois, après quoi, si tous les joueurs ont encore passé, on rassemble toutes les cartes et le joueur placé à la droite du donneur devient le nouveau donneur.

L'homme, auto-désigné selon cette procédure, s'engage à gagner le coup, les autres joueurs tentant de le faire perdre.

L'atout est la couleur de la dernière retourne. Il est possible, lorsqu'on va en réjouissance, de se voir proposer plusieurs fois la même couleur d'atout. Ceci n'empêche pas de faire un nouveau tour de parole : les joueurs ayant alors une meilleure connaissance des cartes, l'un d'entre eux peut être amené à jouer sur une couleur qu'il avait précédemment refusée.

Commentaire :
À partir de 1725 (Académie universelle des jeux), la règle appliquée concernant les retournes a été modifiée sensiblement, suite probablement à une difficulté d'interprétation de la règle initiale : désormais le donneur est le seul à tourner les cartes du dessus du talon, jusqu'à éventuellement la troisième réjouissance, pour les proposer aux joueurs comme atout. Pourtant la règle initiale contenue dans La Maison des jeux académiques de 1665, « [...] l'on donne à chacun des joueurs cinq cartes, et il est à la volonté des joueurs de retourner la carte, quand l'on aura donné à chacun ses cartes, pour voir de quelle couleur il retourne. », est sans ambiguïté sur le fait que ce n'est pas systématiquement le donneur qui retourne la carte mais bien le premier joueur qui en prend la décision. Cette règle initiale est renforcée dans l'Académie universelle des jeux de 1718 : « Quand chacun des joueurs a ses cartes en main, il lui est permis selon son rang de voir de quelle couleur il retourne. »

Concernant la procédure de retourne des réjouissances, il en va de même, comme l'indique la règle de 1665 : « Quand les joueurs sont d'accord de passer, c'est-à-dire de ne pas jouer, ils se réjouissent, c'est-à-dire qu'ils tirent la carte de dessous, pour voir de quelle couleur il retourne, et alors celui qui croit avoir beau jeu, il fait jouer. [...] Il est permis de se réjouir jusqu'à trois. » Ainsi les joueurs se prononcent lorsque la première carte du talon a été retournée, et si tous passent, ils ont à nouveau la permission – ils n'y sont pas contraints – de retourner la carte suivante pour se prononcer à nouveau. L'expression « la carte de dessous » ne signifie pas la carte de dessous du talon, mais bien celle de dessous la première retourne.

En 1725 (Académie universelle des jeux), le principe de la réjouissance, sous le nom plus adéquat de curieuse, a été ajoutée aux règles du jeu de la Bête, anciennement appelé le jeu de l'Homme. À la Bête, la première retourne est faite sans condition par le donneur, et si tous passent, il retourne la carte suivante appelée « curieuse ». On ne va en curieuse qu'une seule fois.


4. Le roi de la couleur de la retourne

Le joueur qui retourne un roi durant la phase de désignation de l'homme, gagne immédiatement 1 point.

Si la carte retournée est une toute autre carte, le joueur qui a dans sa main le roi de la même couleur compte 1 point.

Pour être compté, le roi en main doit être montré par le joueur lorsqu'il a la parole ou, s'il n'a pas l'occasion de l'avoir, lorsqu'un joueur qui le précède annonce qu'il joue. Après quoi le roi ne peut plus être compté, sauf si la même couleur de retourne apparaissait lors d'une réjouissance. [Cette procédure n'est pas décrite dans les règles]

Un même roi ne peut être compté qu'une fois. Même si le coup n'est pas joué les rois sont comptés.

Si les joueurs vont jusqu'à la troisième réjouissance, et que toutes les retournes sont d'une couleur différente, quatre rois sont en mesure de faire compter un point. En théorie, un joueur peut être amené à marquer un total de 4 points pour les rois, mais généralement les rois sont répartis entre les joueurs et le reste du talon qui n'est pas utilisé sur le coup.

Commentaire :
« Qui retourne le roi vaut un, celui qui l'a en la main vaut la même chose, d'autant que s'il en avait trois ou quatre de la couleur, il comptera autant qu'il en aura. » Cette règle imprimée en 1665 (Maison des jeux académique) a posé un problème de compréhension au niveau de l'expression « s'il en avait trois ou quatre de la couleur », tant et si bien qu'en 1718 (Académie universelle des jeux) elle devient « s'il avait trois autres rois avec celui d'atout » et dans celle de 1725 (Académie universelle des jeux) la règle s'énonce : « Celui qui a en main le roi de la couleur qui retourne, gagne un jeu pour ce roi, et il en compterait autant qu'il aurait d'autres rois avec celui d'atout ». Depuis 1718, les règles imprimées dans les recueils de règles font ainsi valoir un point pour chaque roi accompagnant celui de la couleur de la retourne dans la même main. C'est donner une importance excessive aux rois au regard du seul point que peut donner le jeu lui-même. L'interprétation de la règle d'origine aurait dû être : chaque fois que l'on aura un roi en main de la couleur de la retourne on marquera un point. Ainsi, un joueur peut avoir plusieurs rois de la couleur de la retourne du moment que l'on peut être amené à aller jusqu'à trois fois en réjouissance. La couleur de la retourne est à prendre ici au sens large et non pour celle d'une retourne en particulier.

La règle du roi trouve son intérêt dans le fait que la retourne n'est pas obligatoire mais à la volonté des joueurs selon leur rang. Elle incite les joueurs à retourner la carte du dessus du talon dans l'espoir de gagner rapidement un point immédiatement, ce qui peut être déterminant pour terminer une partie sans avoir à jouer le coup.

C'est seulement à partir de 1725 (Académie universelle des jeux) que le jeu de la Bête, anciennement appelé le jeu de l'Homme, a repris cette faculté du roi – limitée au roi d'atout et donc uniquement si le coup est joué – de faire gagner un jeton par joueur. Au XIXe siècle, le jeu de l'Écarté reprendra l'idée de faire marquer un point d'emblée pour le roi d'atout retourné ou en main.


5. Le jeu de la carte, les levées, gain et perte du coup

Le premier à jouer pour la première levée, appelé premier en cartes, est le joueur placé à la droite du donneur, et pour les levées suivantes ce sera le gagnant de la levée venant de s'achever. On dit de ce dernier qu'il a la main. Avant chaque donne, on mélange les cartes et on fait couper.

Il est interdit de renoncer, c'est à dire qu'il faut si possible, fournir de la couleur demandée qui est celle de la carte jouée par le premier en cartes ou celui qui a la main. La couleur demandée peut être l'atout.

Si un joueur ne peut fournir de la couleur demandée autre que l'atout, il doit couper avec un atout. L'atout l'emporte sur toute autre couleur.

Si n'ayant pas de la couleur demandée, un joueur joue après un autre qui a coupé, il doit si possible jouer aussi de l'atout. La règle n'impose pas de surcouper.

Dans le cas où l'on n'a ni de la couleur demandée, ni de l'atout, on joue la carte que l'on veut.

Pour que l'homme gagne le coup, il faut qu'il fasse plus de levées que chacun des autres joueurs. Ainsi, s'il fait trois levées sur les cinq possibles, il gagne. S'il n'en fait que deux et qu'aucun des adversaires n'en fait trois, il ne gagne que s'il est le premier à les avoir faites. De même, si personne n'a fait plus d'une levée, l'homme ne gagne que s'il est le premier a l'avoir faite.

Si l'homme gagne le coup, il marque 1 point.

Si l'homme perd le coup, il démarque 1 point et chacun de ses adversaires marque 1 point, et si l'homme n'a pas de points quand il perd, il devra se démarquer lorsqu'il commencera à marquer.

Commentaire :
Les règles de 1665 ne sont pas exhaustives sur le jeu de la carte, mais à la même date, celles de la Triomphe et de l'Homme, alors appelé aussi la Bête, sont un peu plus explicites. La règle de l'Homme d'Auvergne faisant référence à la Triomphe, et l'Homme étant une émanation de la Triomphe, les règles du jeu de la carte ici présentées sont issues de celles de la Triomphe et de l'Homme de la Maison des jeux académiques, 1665.

Dans ces règles, l'atout est considéré comme un prolongement au dessus du roi des couleurs manquantes en main. C'est la raison pour laquelle ne pas jouer d'atout alors que l'on n'a pas de la couleur demandée équivaut ici à une renonce illégale.

La règle de 1665 concernant le point marqué par les joueurs adverses en cas de perte de l'homme n'est pas claire : « Qui fait jouer et perd le jeu, on lui marque, et en est démarqué une au profit de sa partie. » Par jeu, il faut entendre coup. La comptabilité était faite en jeux, soit une marque pour un jeu, et un roi de la couleur de la retourne valait l'équivalent d'un jeu – un jeu c'est normalement un coup de cartes soient les cinq levées. Sa partie, semble désigner ici les joueurs adverses. Le problème reste de comprendre la signification de « on lui marque ». À partir de 1718, en écrivant « Quiconque fait jouer, et perd le jeu, est démarqué d'une marque au profit de celui qui gagne. »,  l'Académie universelle des jeux tranche en faveur d'un gagnant. Cependant, l'homme jouant seul contre l'ensemble des autres joueurs qui unissent leurs moyens pour le faire chuter, il semble plus juste de considérer que c'est cette équipe qui marque un point, et que le « on » de « on lui marque » fait référence à chacun des joueurs adverses.

D'un point de vue tactique, si au moment d'entamer le jeu de la carte, un joueur se trouve seul à un point du gain de la partie et être l'homme, il sera de l'intérêt des autres joueurs de le faire chuter. Cependant s'il était parmi les opposants, les autres auraient tout intérêt à faire gagner l'homme.


6. Les rois pris sur une levée

Si un joueur qui avait marqué un point pour un roi durant la phase de parole, voit celui-ci pris par un autre joueur au cours d'une levée, il doit démarquer son point et celui qui a capturé le roi marque 1 point. Ceci correspond au transfert du point de bonus du roi, d'un joueur à un autre.

Un roi non compté durant la phase de parole ne peut ni faire perdre un point à son possesseur, ni en faire gagner un à celui qui le prend.
  

7. Durée d'une partie

Une partie se joue communément en 5 points, mais peut selon convention au départ entre les joueurs se jouer en plus ou moins de points.

Lorsque l'Homme d'Auvergne était joué pour de l'argent, les joueurs mettaient une somme convenue sur la table au début de la partie et le gagnant emportait la totalité de ces enjeux.

Commentaire :
Si la règle de 1665 (Maison des jeux académiques) recommande de jouer en 5 points, à partir de 1718 (Académie universelle des jeux) les règles préconisent 7 points. L'ajustement du nombre de points par convention est admis dans toutes les règles.

 



            

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Références

La Maison des jeux académiques, Paris, Étienne Loyson, 1665
La Maison des jeux académiques, Paris, Étienne Loyson, 1668
La Maison académique, La Haye, Van Elinckhuysen, 1702

L'Académie universelle des jeux, Paris, Legras, 1718
L'Académie universelle des jeux, Leide, Pierre Vander Aa, 1721
L'Académie universelle des jeux,
Paris, Legras, 1725


Informations sur la page

Page mise en ligne le 3 décembre 2010
Page révisée le 16 novembre 2021

Auteur : Philippe LALANNE

Le Salon des jeux - Académie des jeux oubliés

 

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